Les symptômes «silencieux» de la SEP
Articles spécialisésLa SEP touche principalement des jeunes ou des adultes d’âge moyen. L’apparition de la maladie n’a pu faire jusqu’à présent l’objet d’affirmations définitives. Mais il semblerait qu’elle provienne de la mise en relation complexe de divers facteurs constitutionnels et environnementaux.
Au sein du système immunitaire, responsable en temps normal de la surveillance et, si nécessaire, de l’élimination d’agents pathogènes, une réaction erronée dont l’origine est encore méconnue se produit. Les défenses immunitaires d’un individu définissent son propre tissu comme «étranger» et l’attaquent (réaction auto-immune). Cette réaction auto-immune conduit à une détérioration des couches protectrices qui enveloppent les fibres nerveuses. Les symptômes peuvent être très variés selon les fibres nerveuses touchées, qu’elles soient liées au contrôle des mouvements ou des sensations, à la transmission de la douleur, etc. Si l’apparition de paralysies, de troubles de la vision et des limitations de mouvement sont aisément descriptibles et analysables du point de vue neurologique, certains autres symptômes peuvent survenir, comme des douleurs, des troubles vésicaux et intestinaux, une fatigabilité anormale, des troubles des fonctions cérébrales, mais aussi des changements d’humeur pouvant aller jusqu’à la dépression. Contrairement aux réductions fonctionnelles bien descriptibles et souvent visibles de l’extérieur, ces autres symptômes ne sont pas clairement décelables au premier coup d’oeil. Cependant ces troubles sont, justement parce qu’ils ne sont pas visibles, particulièrement accablants et difficiles à supporter pour les personnes atteintes de SEP et leurs proches.
Fatigue – personne ne voit à quel point je suis fatigué(e)
La fatigue est considérée comme l’un des symptômes les plus fréquents de la SEP. En effet près de 80% des personnes atteintes de SEP en souffrent. Si certaines d’entre elles présentent une fatigue permanente (fatigue chronique), visible lors des activités les plus simples, d’autres font état d’une fatigue spontanée et soudaine apparaissant en l’absence d’activité physique ou quelques minutes à peine après le début d’une activité (fatigue aiguë). Cette fatigue peut toucher aussi bien des fonctions purement physiques (par exemple fatigue dans les jambes après quelques pas) ou bien être liée à des activités cérébrales (relâchement rapide de l’attention et de la concentration) et augmenter en cas de fièvre, de bouffées de chaleur, après un bain chaud ou toute augmentation de la température corporelle. Fondamentalement, la fatigue est un état subjectif : une personne atteinte peut ressentir cette fatigue ou un état prononcé de fatigabilité, tandis qu’une autre personne ne la décèlera pas forcément. En raison de l’absence de signes physiques et de méthodes d’examen permettant de diagnostiquer clairement cette fatigue, elle compte parmi les symptômes «silencieux» ou «invisibles». Chez les personnes touchées apparaît souvent le sentiment d’incompréhension, en particulier lorsque la fatigue en question est interprétée par l’entourage comme un «manque de volonté» ou une paresse excessive. Ceci peut conduire à des malentendus, aggraver des problèmes existants ou provoquer des problèmes psychiques supplémentaires. Le diagnostic de la SEP s’accompagne en général d’une modification de l’image de soi. Ces situations – si elles ont lieu dans un environnement personnel – peuvent augmenter l’incertitude, le sentiment de rejet et conduire finalement au repli social. Et elles peuvent ainsi avoir, une fois de plus, une influence indéniable sur l’humeur.
Dépression – la tristesse peut être silencieuse et indicible
Si toute baisse de moral ne peut être assimilée à une dépression, les changements d’humeur virant à la morosité restent fréquents chez les personnes atteintes de SEP. En effet, le diagnostic touche en général de jeunes personnes prises au dépourvu à un moment de leur vie où ils se préparent plutôt à entrer dans le monde professionnel, à commencer leur vie de couple ou à fonder une famille. Force est de constater que la probabilité de souffrir d’une dépression au cours de sa vie est clairement plus élevée chez les personnes atteintes de SEP que chez les personnes saines. Elle s’élève à 50%, ce qui signifie que près d’une personne sur deux atteinte de SEP connaît tôt ou tard une phase dépressive, nécessitant souvent un traitement. Au moment du diagnostic, les raisons évoquées (soudaineté du diagnostic, «choc du diagnostic », perte de l’image de soi, etc.) peuvent être à l’origine d’une dépression. Mais bien souvent il s’agit davantage d’une réaction dépressive à une expérience douloureuse. Au fil des ans, les altérations cérébrales typiques de la SEP peuvent elles-mêmes provoquer des troubles dépressifs. En effet, ces altérations peuvent survenir sur les voies nerveuses par lesquelles transitent les neurotransmetteurs du cerveau nécessaires à la régulation émotionnelle. Ce problème de régulation peut aussi avoir une influence négative, qui s’ajoute à une humeur déjà sombre, et conduire à une dépression. La dépression se caractérise par des symptômes clairement définis, dont l’intensité varie en fonction du degré de gravité et qui se font sentir à long terme. Ainsi, une personne dépressive voit certaines de ses aptitudes entravées : capacité de participation au vécu, joie de vivre, performances, réflexion, capacités relationnelles. Mais aussi la perte d’entrain, la fatigue, la perte d’appétit, les troubles du sommeil et de la concentration, le désintérêt sexuel, la perte ou la prise de poids constituent autant de signes typiques de la dépression. Il existe diverses formes et divers degrés de gravité. Les personnes atteintes peuvent même se sentir extrêmement abattues et percevoir le présent aussi bien que l’avenir de manière négative. L’épuisement et la perte d’énergie inhérente peuvent constituer aussi bien des signes de fatigue qu’un symptôme de dépression. Les personnes atteintes n’étant pas en mesure de surmonter cet état sans aide professionnelle, il est très important de déceler ces signes à temps afin d’effectuer des examens médicaux et, en cas de nécessité, de démarrer un traitement. L'entourage doit aussi savoir qu’une dépression ne se soigne pas en consolant, en réconfortant, en persuadant et encore moins en faisant pression sur la personne dépressive. Une psychothérapie, la plupart du temps accompagnée d’un traitement médicamenteux, s’avère bien souvent judicieuse.
Troubles cognitifs – mes efforts de concentration passent inaperçus
Près de la moitié des personnes atteintes de SEP font état de problèmes liés à la concentration, à la mémoire, ainsi qu’à des difficultés lors de l’exécution de plusieurs tâches simultanées ou du traitement rapide des informations. Il s’agit là de troubles des capacités cognitives. Ils font même partie dans certains cas isolés des premiers signes de la maladie et peuvent apparaître à un moment où aucun autre symptôme physique n’est décelé. Ces troubles cognitifs peuvent représenter une gêne évidente dans le quotidien professionnel ou familial et altérer la qualité de vie. La diminution des capacités intellectuelles ébranle à elle seule la perception de soi et est perçue comme inquiétante par de nombreuses personnes atteintes de SEP. Celles-ci peuvent remarquer que, dans une situation spécifique, elles ne peuvent plus réaliser certaines activités avec la facilité habituelle, que certains noms ou concepts ne leur viennent pas immédiatement à l’esprit, ou qu’elles ne peuvent suivre une conversation qu’au prix de gros efforts et d’une forte concentration. Cette fragilisation a fréquemment pour conséquence l’évitement de contacts sociaux, voire le repli sur soi pur et simple.
Symptômes paroxystiques («par crises») ce qui apparaît et disparaît brièvement n’est pas perçu
La notion de symptômes paroxystiques regroupe les troubles qui apparaissent de façon brusque et inopinée et qui peuvent disparaître aussi rapidement, comme les troubles de la sensibilité ou de la vue. Très souvent, un changement subit de température ou un mouvement saccadé sont des déclencheurs. Le caractère brusque de l’apparition et de la disparition de ces troubles provoque insécurité et inquiétude chez les personnes concernées. Ces symptômes paroxystiques peuvent également provoquer des inquiétudes chez les proches et susciter parfois des doutes sur l’état de santé des malades. Ce qui peut irriter en retour ceux-ci. Ils ne se sentent pas pris au sérieux et seraient plutôt incités à se taire à la prochaine crise au lieu de faire part des pré occupations et de la détresse provoquées par les symptômes. Ce genre de comportements peut conduire à un enchaînement de malentendus aboutissant au repli social et à l’isolement. Autant de facteurs ouvrant la voie à la dépression.
Problèmes vésicaux et intestinaux: des sujets que l’on tait
De nombreuses personnes atteintes de SEP se plaignent de troubles des fonctions vésicales et/ou intestinales. Un écoulement urinaire involontaire (incontinence urinaire) par exemple peut limiter de façon significative les activités physiques des personnes concernées. Il s’avère que de nombreuses personnes souffrant de ces problèmes préfèrent renoncer à leurs activités plutôt que de chercher sans cesse les toilettes les plus proches. Malheureusement, l’inactivité (hypocinésie) accroît les troubles des fonctions vésicales et intestinales, de sorte qu’une nouvelle «spirale négative» s’installe.
Douleurs: silencieuses et pourtant si aiguës
Les personnes atteintes de SEP savent que celle-ci n’est pas une maladie indolore. Les douleurs peuvent être attribuées à la SEP elle-même (les altérations cérébrales) ou, indirectement, aux autres symptômes de la SEP (tels que les spasmes dus à une mauvaise posture ou les crispations). Les douleurs peuvent être plus ou moins prononcées et ressenties de manière très différente. De nombreuses personnes atteintes de SEP font état de douleurs occasionnelles au visage (névralgies faciales). À l’instar des symptômes décrits précédemment, ces douleurs ne sont pas décelables de l’extérieur et limitent de façon significative l’activité des personnes concernées, dégradant leur qualité de vie. Les douleurs chroniques conduisent les personnes qui en souffrent à se concentrer en premier lieu sur elles-mêmes et sur leur douleur. Le symptôme occupe alors une large place dans leur esprit et les rend moins sensibles aux choses extérieures agréables ou aux activités sociales. De même, il leur est difficile d’éprouver du plaisir. Moins conviviales, se mettant en retrait, privilégiant le calme, ces personnes auront tendance à éviter les contacts et à se considérer comme une charge pour elles-mêmes et pour les autres. En outre, les analgésiques peuvent entraîner une fatigue supplémentaire, avec le risque d’une nouvelle spirale négative.
Soutien professionnel
Les symptômes invisibles d’une SEP concernent aussi bien des douleurs physiques spécifiques que des problèmes psychiques. Il n’est pas rare qu’ils s’alimentent les uns les autres, créant ainsi une spirale négative qui, dans sa globalité, peut déclencher des troubles personnels et des conflits relationnels. C’est pour cela qu’il est essentiel d’aborder ces thèmes avec les proches. Cependant, des paroles de réconfort même bien intentionnées ne constituent pas une aide suffisante en cas de problèmes psychiques. C’est alors au médecin de déterminer dans quelle mesure une consultation individuelle ou, dans certains cas, une psychothérapie peut s’avérer bénéfique.
Texte original: Dr. Pasquale Calabrese, conseiller en psychothérapie, neuropsychologie et neurologue comportemental auprès de la Société suisse de la sclérose en plaques.