Interview de Gil Roman

Gil Roman est le directeur artistique du Béjart Ballet Lausanne. Dans cette interview, il nous parle de Casse-Noisette, la pièce qu’il présentera le 15 février 2020 à l’occasion de la représentation caritative de la Société SEP en faveur des personnes atteintes, mais aussi de son rapport au public, au corps et à la danse.

Parlez-nous de Casse-Noisette. Quel est le sujet de la pièce, son histoire et son message?
À l’origine, Casse-noisette est un conte de Noël écrit par E.T.A. Hoffmann, adapté sous forme de ballet par Piotr Tchaïkovski et le chorégraphe Marius Petipa. Maurice Béjart s’est réapproprié cette histoire et en a fait un conte très personnel en hommage à sa mère, réelle et fantasmée. Cette dernière est décédée alors qu’il avait 7 ans, elle a alors pris la forme d’un personnage mythique dans l’esprit du futur danseur. Dans ce ballet, il raconte des anecdotes qui oscillent entre réalité et imaginaire et emmène le spectateur dans son univers, toujours en présence d’une immense statue, représentant la figure maternelle. Comme il a été formé dans une compagnie classique, il a intégré le Grand pas de deux comme il l’avait appris du maître de ballet de Marius Petitpas. Tout le reste de la pièce, c’est le cheminement, le voyage d’un petit garçon qui décide de devenir danseur. C’est un conte de Noël  touchant, doux et drôle, où se croisent tous les personnages qui ont été importants pour Maurice: Félix le chat, les Angels of Light ou encore Mephisto…

Qu’est-ce que vous souhaitez apporter au public?
J’aimerais que les gens se retrouvent dans ce que nous faisons. La danse est un miroir: les gens se projettent sur scène à la place des danseurs, ils vivent dans le mouvement et s’oublient, même si certains souffrent de limitations physiques. Nous faisons ce métier pour partager quelque chose de profond, pour apporter du bonheur aux gens. Et lorsque tout cela se produit, c’est juste et réussi, et nous sommes à notre place.

Vous êtes un spécialiste de la perfection, de la précision des gestes et du corps. Comment imaginez-vous le vécu d’une personne atteinte de sclérose en plaques pour qui le contrôle du corps est un challenge au quotidien?
Je ne peux pas l’imaginer parce que je ne le vis pas. Et c’est d’autant plus difficile parce que chaque cas est différent. J’ai eu un danseur atteint de SEP il y a une quinzaine d’années, mais il travaillait, et il n’avait pas de symptôme visible. Par contre, je peux m’exprimer en tant que danseur. Lorsqu’on se blesse, et surtout si cela se produit à répétition au même endroit, c’est qu’il y a un blocage quelque part. Et c’est en essayant de comprendre les blocages qu’on peut faire des progrès. Même sans bouger, je peux parfois agir sur mon corps, grâce à un travail de visualisation, de yoga. Lâcher prise, accepter la douleur jusqu’à un certain point est également important pour moi, afin de mieux gérer mon énergie. On parle souvent de souffrance, mais une souffrance quand elle est acceptée n’est pas une souffrance, c’est un chemin.

Que représente la danse pour vous?
C’est en même temps une pratique et le sens de ma vie. Lorsqu’on est jeune on pense que c’est juste le moyen d’arriver quelque part, puis le processus, le chemin prend de plus en plus de place, et au final il devient une fin en soi.

Pouvez-vous nous parler du Béjart Ballet Lausanne, qu’est-ce qui différencie cette compagnie des autres?
Le BBL est un groupe d’humain, où tout le monde est considéré au même titre. Il n’y a pas de hiérarchie, c’est une famille. Et la chose essentielle, c’est le partage et la solidarité. L’important n’est pas le titre, ni le rôle, ce qui est important c’est le vécu de chaque danseur sur scène.